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Covid 19 – Quand l’urgence dicte sa Loi

Covid 19 – Quand l’urgence dicte sa Loi

En 6 semaines de confinement, la France a connu une inflation législative d’une ampleur inédite sous la Ve République. Le fait le plus remarquable étant l’adoption, le 25 mars 2020, de 25 ordonnances – économiques, sociales, judiciaires – prises en application de la loi d’urgence n°2020-290 du 23 mars 2020 pour faire face à l’épidémie.

Autre incroyable nouveauté, les mesures restrictives des libertés individuelles édictées ont été majoritairement acceptées.

Certaines dispositions adoptées dans l’urgence, seulement quelques jours après le début du confinement, étaient toutefois imprécises, faisant craindre une insécurité juridique.

Simultanément, les annonces gouvernementales se sont multipliées, relayées avec frénésie par les médias.

Dans un louable effort de pragmatisme, le Gouvernement a adopté des mesures offrant aux employeurs des droits inédits : recours massif à l’activité partielle, modification d’une partie des dates de congés payés des salariés, dérogation sous certaines conditions à la durée du travail, au repos hebdomadaire ou dominical…

Puis, les ordonnances rectificatives et les décrets d’application se sont multipliés sur lesquels le Gouvernement n’a pas toujours communiqué.

Nombre d’ordonnances rectificatives ne contiennent, en réalité, que des articles qui se succèdent mentionnant les modifications et les ajouts aux dispositions des ordonnances précédemment promulguées.

A la lecture de certains de ces textes, on ne peut que s’interroger sur le respect d’intelligibilité de la loi, objectif de valeur constitutionnelle dont la vocation est d’assurer la lisibilité de la loi par l’adoption de dispositions suffisamment précises et non équivoques.

D’ailleurs, même le Gouvernement s’y perd et diffuse sur le site du Ministère du Travail des interprétations, parfois critiquables, de ses propres textes.

A titre d’exemple, l’ordonnance n°2020-385 du 1er avril 2020 assouplissant le dispositif de la prime défiscalisée dite « prime Macron » a ouvert aux employeurs la possibilité d’en moduler son montant, selon un nouveau critère tenant « aux conditions de travail liées à l’épidémie de Covid-19 ».

Ce nouveau critère qui a vocation à inciter les employeurs à récompenser les salariés qui travaillent durant la crise sanitaire n’a, pour autant, pas pour objet d’exclure une catégorie de personnel, comme notamment, ceux qui seraient en télétravail, pour la réserver, exclusivement, aux salariés qui se rendraient sur leur lieu de travail.

Or, par une interprétation particulièrement extensive, la FAQ mise en ligne sur le site du Ministère du Travail précise qu’il est possible d’exclure du bénéfice de cette prime, les salariés qui ne sont pas présents sur leur lieu de travail pendant la période d’urgence sanitaire (placés en télétravail, par exemple).

Le risque est de créer un clivage entre les salariés, les employeurs n’étant pas à l’abri d’actions en discrimination engagées par certains d’entre eux qui seraient déçus.

Outre les risques juridiques associés à l’application d’une telle interprétation, les potentiels effets pratiques ne sont pas à négliger : une telle exclusion peut être à l’origine d’une démobilisation des salariés alors, pourtant, qu’à l’heure de la reprise, un engagement de tous est vital.

Là encore, se pose la question de la lisibilité de la Loi.

Alors s’il est vrai que « l’urgence dicte sa loi », comme l’a annoncé Edouard Philippe lors de l’adoption des 25 ordonnances du 25 mars 2020, il n’en reste pas moins que la loi doit être intelligible pour emporter l’adhésion des citoyens.

Nous ne sommes, en effet, pas à l’abri que le Conseil constitutionnel, gardien de la démocratie et des libertés fondamentales, juge ce « nouveau droit » en partie inconstitutionnel.

En ces moments de forte inflation législative, nous ne pouvons que vous conseiller de faire preuve de la plus grande prudence dans la mise en œuvre des nouvelles dispositions.